Le trésor de la décharge

Cette photo montre un bassin et deux petites fontaines d'eau de source, construits en vieilles pierres, situés dans un jardin public en Bretagne. A cet endroit, quand j'étais petite, se trouvait une décharge publique.

Petite, j’habitais un lotissement bordé d’une rivière et de sa coulée verte, qui délimitaient le territoire de la bande d’enfants dont je faisais partie.

Nous nous retrouvions souvent « aux 3 marronniers » au bord de l’eau. Le courant était fort. Derrière le chemin qui menait aux arbres, à travers champs, se trouvait une zone marécageuse mystérieuse. Si on continuait, on arrivait « aux bosses » : un grand terrain vague sur lequel des gravats de chantier abandonnés formaient de nombreux tas, eux-mêmes recouverts d’une végétation étrange. Drôle de paysage un peu lunaire, miraculeux pour le bi-cross. Plus loin encore, un grand arbre tombé en travers de la rivière constituait un pont que nous rêvions de traverser sans jamais oser le faire.

Mais le territoire le plus inexploré, au nord en amont du courant, était menaçant et difficilement accessible : une ancienne décharge publique, abandonnée, perdue dans la végétation et les arbres sauvages… Encore fallait-il savoir qu’elle avait existé, car on ne voyait plus rien depuis les zones civilisées.

J’y suis allée une fois entraînée par un garçon téméraire. J’avais autour de 10 ans et j’étais autant morte de trouille qu’emballée par l’aventure. J’ai une passion pour les sites abandonnés et légèrement effrayants, vieilles usines désaffectées, hôtels abandonnés, maisons inachevées… En 1980, avant l’heure de l’urbex, je me contentais d’une vieille décharge.

Il y avait des tas de trucs pourris, des vieux machins non identifiables ; tout était intéressant et il était clair qu’un trésor devait se cacher quelque part. Forcément. Je le cherchais passionnément. Même dans les vieilles carcasses de voiture.

Cherchant à pénétrer dans un squelette de camionnette, nous avons réveillé un clochard qui dormait là et a brusquement hurlé avec sa voix avinée. Nous avons pris nos jambes à nos cous et déguerpi pour toujours, terrifiés.

Un frisson me parcourt encore à l’évocation d’une des frousses les plus bleues de mon enfance.

Cette aventure dans la décharge est restée gravée dans ma mémoire comme une épopée dans la forêt amazonienne, aventuriers de l’arche perdus, découvreurs de la cité de l’Atlantide, goût d’Histoire inachevée. Quand j’entends la chanson de Johnny Jane, cet épisode me revient instantanément à l’esprit. 

Cette année, de retour pour quelques jours dans ma ville natale, mes pas m’ont inconsciemment ramenée par là. Tout a été civilisé, défriché, plus de décharge, plus de clochard. C’est propre et net, on trouve un beau jardin public (Assez vallonné cependant, les déchets sont sûrement ensevelis) et, à l’endroit exact où je situerais la carcasse de camionnette, coulent deux adorables fontaines d’eau claire, anciennes, donnant sur un bassin, calme, entouré de murets en vieilles pierres et d’iris jaunes et violettes (Mes fleurs préférées quand j’avais 10 ans).

Cela n’a pas été créé par le service Espaces verts. Elle était là, sous les déchets. Le chantier a révélé le trésor caché, illustrant que le meilleur peut prendre sa source dans le pire.

Comme de la boue émergent les lotus, mes fleurs préférées d’aujourd’hui.

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