Du journal intime au carnet de bord, l’écriture de soi pour fluidifier sa vie intérieure (5′ de lecture)

Pour mon anniversaire de 12 ans, ma grande sœur m’a offert un journal intime.

C’était un cahier format A5 avec une couverture rigide ornée d’une image un peu quiche de petite fille fleurie en tablier et godillots, sûrement Holly Hobbie qui sévissait partout à cette époque-là.

La tranche des pages était dorée, il était écrit « journal intime » au-dessus de la fille au visage mystérieux. Une patte passant par-dessus la tranche reliait la couverture, et un cadenas permettait de la fixer grâce à une petite clé. A l’intérieur, des pages blanches, toute blanches. A part cela, on aurait dit un vrai livre.

Holly Hobbie avance masquée

Ce désert de pages, ce mot « intime » et la petite clé, c’était une  invitation vertigineuse à déposer mes secrets inavouables dans ce coffre-fort à exclusivité d’accès.

Intimité. Intime.
Moi-seule. Entre moi et moi. Personne d’autre.
Un cadenas et une clé. Mes secrets en sécurité.
Ecrire. Expression.
Secrets.
Liberté.
Vertige !
Je crois que jamais un cadeau ne m’a fait autant d’effet !

Je me suis lancée immédiatement, sans filtre : j’ai consigné toute mon actualité, avec un stylo-plume à encre bleu des mers du sud. J’écrivais et je faisais des petits dessins. Je décrivais des faits et des émotions. Je ne me censurais pas. Je me sentais tellement protégée par la serrure et la clé.

Mais le résultat ne me plaisait pas, ni mon écriture, ni mes dessins. Ce n’était pas régulier, pas parfait, je n’aimais ni la forme ni le fond. Quand je relisais, je trouvais cela moche, puéril, ridicule. Je n’aimais pas cette intimité-là, regarder cela après l’avoir écrit, beurk. Et même le cahier, avec ce dessin pourri sur la couverture et ces dorures prétentieuses, de toutes façons j’avais tout gâché en écrivant à l’intérieur. Il était beau le premier jour, neuf, vierge, mais maintenant que je l’avais sali avec mes phrases, il ne valait plus rien. Alors j’ai arrêté et je l’ai balancé au grenier.

Je n’aimais pas ma vie intérieure.

Quelques années après, je l’ai retrouvé dans le magma du grenier et j’ai vu que le cadenas, loin d’être une garantie de sécurité à toute épreuve, pouvait être ouvert par n’importe quelle épingle. J’ai été horrifiée quand j’ai lu les confessions énormes qui trainaient là … Pour limiter les risques, j’ai tout jeté dans une poubelle publique, comme dans les films. Ce fut un soulagement.

J’ai laissé tomber les journaux intimes pendant de longues années, et d’ailleurs, je me suis mise à détester le terme même de « journal intime ». Et particulièrement les cahiers spécialement vendus avec ce titre imprimé en couverture : c’est quoi cette idée pousse-au-crime d’étiqueter ainsi ce qui justement, pour en garantir l’essence même, ne devrait pas être marqué ?

Bien plus tard, jeune adulte, je suis devenue complètement accro aux cahiers, soit à lignes, soit à pages blanches, de différentes tailles, de différentes épaisseurs, de différentes couleurs. Mal dans ma peau, j’écrivais énormément, compulsivement, en cascade, des pages et des pages, sur mon mal être. Comme j’achetais les cahiers et carnets plus vite que je ne les remplissais et que je traversais de longues périodes au cours desquelles rien ne venait, mes cahiers vides me regardaient et me disaient : « c’est toi qui est vide, regarde nous, tu n’as rien à sortir de toi, rien d’intéressant, de beau ou d’intelligent ».

Quand j’écrivais, je n’étais plus incommodée par le désordre et l’irrégularité de mon écriture, mais par le manque d’homogénéité de l’ensemble de mes cahiers. J’aurais voulu en avoir un seul style, faire un choix stable, prendre une décision définitive… mais je ne pouvais pas m’empêcher d’acheter de tous les styles, de toutes les formes et beaucoup restaient vides.

Je me cherchais, mais j’étais perdue dans le brouillard.

Après mon divorce, j’ai rouvert un carton qui contenait tous ces cahiers. Insupportée par ce mal être que je ne voulais plus dans ma vie, dans un grand mouvement thérapeutique, j’ai tout jeté, et même pas dans la poubelle jaune  car je voulais être certaine que personne ne lirait ça.

Les années suivantes, je n’ai plus rien écrit, mais j’ai continué à acheter des carnets à vocation plus sérieuses : recueillir des listes choses à faire, des objectifs, des plans d’actions, pour structurer ma vie personnelle et professionnelle.

C’est il y a 3 ans, quand j’ai lu le livre « Libérez votre créativité » de Julia Cameron, que les choses ont changé et se sont enfin mises en place.

Dans ce livre, l’auteur préconise la pratique des « pages du matin » ; il s’agit d’écrire tous les matins, au lever, 3 pages. On peut y noter n’importe quoi, tout ce qu’on veut, comme ça vient, il n’y a pas de consigne, pas de mot d’ordre. Et pas de jugement non plus. On a le droit d’écrire « je ne sais pas quoi écrire », « j’ai envie de rester dans mon lit », « j’ai faim et j’aime les tartines au chocolat », « les murs du salon sont blancs », « pourquoi diable faut-il se lever le matin ? Je voudrais tellement retourner au lit» ou « il faut que je mette le linge à sécher avant de partir au bureau ». Tout ce qui passe par les doigts qui tiennent le crayon, sans réfléchir. On lâche prise, on laisse venir, on laisse filer, on tire le fil de la pelote, on fait sauter le bouchon qui bloque la créativité. Dans le livre elle conseille de le faire pendant 3 mois mais on peut faire ça toute sa vie. C’est un espace de liberté totale.

La clé qui m’a permis de prendre cette habitude et de la garder est que Julia Cameron dit de ne pas relire ce qu’on écrit pendant un certain temps. Au bout de plusieurs semaines, lorsque l’habitude est bien ancrée, on peut relire ces premières pages, et constater son évolution au travers de l’écriture. Et commencer à s’apprécier.

J’ai adoré cet exercice, je me suis éclatée. J’ai commencé à écrire sur des pages blanches que je glissais chaque jour dans une grande enveloppe sur laquelle je me suis surprise à dessiner des tas de choses avec des crayons feutres, que je n’avais pas touchés depuis si longtemps. Cette enveloppe était ma garantie de non relecture. Au bout d’un mois, mon enveloppe commençait à être épaisse, tout comme la certitude que je n’allais pas renoncer à cette habitude d’écriture librement.

J’ai racheté un cahier. Format A5. Pages lignées. Papier doux. J’étais sûre de moi sur ces 3 caractéristiques et je ne voulais plus en bouger. Pendant un temps, je suis restée fixée sur les cahiers à spirales, puis je suis tombée sur le cahier idéal : épais et généreux comme un cerisier japonais en fleur, couverture en carton vernis, un petit clou sur la couverture permettant de fermer le cahier grâce à une petite boucle élastiquée fixée à l’arrière. Il y a différentes couleurs de couvertures. J’en ai deux d’avance, ni plus ni moins. Je n’en achète plus d’autres compulsivement comme avant, j’ai trouvé chaussure à mon pied.

Je l’ai adopté. Je n’en changerai plus. Un de ces cahiers dure environ une année. Lorsqu’un cahier est terminé, je peux le ranger comme un livre sur une étagère et le millésimer au marker noir. C’est ma vie que j’écris dedans. Ce n’est plus un journal intime mais un journal de bord de mon voyage existentiel. J’écris le matin, le soir, d’un coup ou par petite touches. Quasiment tous les jours. Mon écriture est maintenant régulière et je respecte scrupuleusement les marges et les lignes. Si un jour elle ne l’est pas ce n’est pas grave. J’aime écrire la date en rouge. J’aime parfois relire légèrement des notes du passé. J’écris sur les évènements de la journée, mes émotions, des choses à faire, lorsque je suis en colère je vais tout de suite écrire mon ressenti sans aucune censure, pour faire baisser la tension.

Je savoure le bonheur d’être soi et de m’apprécier comme je suis. 

Ce journal de bord est pour moi la chose la plus précieuse au monde. Il me rassure, me cadre, me structure ; m’accompagne et me défloute. Me fixe dans l’espace et le temps.

Si je devais partir sur une île déserte, il serait en tout premier de ma liste.

Si ma maison brûlait, c’est lui que j’emporterais.

Et vous ? Avez-vous l’habitude de vous écrire, ou le désir de le faire ?

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